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								   Gratuité Le démon  le plus coriace est celui de l'utilité. À tout bout de champ il demande : "À  quoi ça sert ?", éliminant par là même le rêve, l'oeuvre d'art, la vertu du  désintéressement. Comme si seul faisait vivre ce qui est quantifiable et  commercialisable. Tous ceux,  qui anonymes le plus souvent, font passer sur terre un peu d'amour, de beauté,  d'espérance,paraissent ainsi de grands inutiles : ils ne produisent rien de  concret, ils ne font pas tourner la machine économique et n'attendent du reste  aucun bénéfice... La beauté  ne sert à rien, pas plus que l'amour ou que l'âme. Elle est ce qui sauve le  mortel de la navrante utilité, de la servilité de l'emploi. Dès qu'un homme  cesse de se poser la question obsédante, et obscène, de son utilité, le sens  surgit et peut fleurir. L'utilité,  ce mot d'ordre produit par un monde matérialiste, n'a pas pour contraire  l'inutilité, mais la gratuité - et on entre dans le monde de la valeur, de la  qualité. La plus haute liberté de l'homme et son honneur aussi résident en la  gratuité de ses actes. Il est donc essentiel de privilégier dans son existence  tout ce qui est pure gracieuseté : les rencontres, la recherche intérieure, le  silence, la musique, l'amour, tout cela qui ne peut être contraint ni récupéré.  Et puis il y a un aspect subversif, très glorieux, qui s'attache à ce qu'on fait  " pour rien " - pour la beauté du geste, pour l'amour de l'amour. Comme  l'écrivait Angelus Silesius, contemporain germanique de Blaise Pascal : "  La rose est sans pourquoi, elle fleurit parce qu'elle fleurit. " Le démon  de l'utilité s'évapore devant la splendeur silencieuse de la rose.   Source  : un texte inspirant de Jacqueline Kelen, issu de son livre "Inventaire vagabond  du bonheur. Ed. Albin Michel 
 
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